Ce lundi à 14 heures, une minute de silence était proposée dans tous les collèges et les lycées. Au collège Jean-Monnet à Yssingeaux, des élus et le sous-préfet se sont joints aux élèves et aux professeurs pour ce recueillement solennel.
A tour de rôle, plusieurs professeurs ont lu un texte écrit par Anne Roumanoff samedi au lendemain de l'attentat d'Arras où un professeur de français a été assassiné. Et ce lundi 16 octobre correspondant au 3e anniversaire d'un autre drame dans l'enceinte d'un établissement scolaire, celui de Samuel Paty, enseignant d'histoire.
Visiblement très émue, la principale du collège public d'Yssingeaux, Valérie Eteocle, a assuré au micro devant 400 collégiens que "notre mission est plus que jamais indispensable pour défendre nos valeurs républicaines de laïcité, de liberté, de tolérance face à l'adversité et aux extrémismes qui nous menacent. Soudés, résilients, nous surmonterons encore une fois de plus ce traumatisme. Notre lumière est plus forte que leurs ténèbres".
Dans la cour, des collégiens ont brandi quelques panneaux en carton sur lequel ils ont inscrit des slogans et des remerciements vis-à-vis des enseignants : "Stop", "Eduquer, c'est résister", "Non à la violence" ou encore "Nos enseignants, nos héros".
Dès le matin, les enseignants avaient pu échanger sur le sujet avec leurs élèves ou entre eux. "Ils en avaient besoin", estime Valérie Etéocle. "Trois ans après Samuel Paty, ça recommence. Le moment est encore plus grave dans un climat qui l'est aussi. Ça ravive de mauvais souvenirs."
Le texte d'Anne Roumanoff
AU REVOIR DOMINIQUE BERNARD !
Une vie à retourner à l’école chaque jour, à enseigner, à tenter de se faire respecter.
Une vie à corriger des copies le soir, le week-end, à annoter à l’encre rouge ou bleue turquoise « Peut mieux faire …», à encourager « Des nets progrès, continuez ! », à déceler les potentiels timides « Prenez confiance ! » avec des points d’exclamation pour donner un peu de poids à ses mots.
Une vie passée à lire encore et toujours, à chercher des nouvelles façons de les intéresser . Allumer la lumière dans les yeux éteints.
Lutter contre les écrans qui les happent, contre les réseaux qui schématisent, leur apprendre à penser par eux-mêmes.
Les encourager à poser leurs questions maladroites, ne jamais se moquer.
Une vie à les regarder s’endormir en cours et à tenter de les réveiller.
Espérer arriver à les éveiller.
Une vie à répéter des consignes, à organiser des réunions parents-profs, à convoquer les élèves qui perdent pied, à recevoir les parents jamais contents.
Une vie à subir les changements de ministres, de programmes, de consignes et de directeurs, à s’adapter en râlant juste un peu.
Une vie à être découragé souvent, agréablement surpris parfois. La sensation de répéter toujours la même chose. Se demander parfois pourquoi.
Une vie à tenter garder l’enthousiasme, à tout faire pour ne pas devenir un prof aigri et blasé. Continuer d’y croire. Prendre du plaisir à transmettre.
Une vie à écouter des exposés maladroits annônés par des voix qui muent, à supporter les « euh, donc, voilà", à répéter "pas de portable en cours".
Donner des petits cours pour arrondir les fins de mois, dire « avec mon petit salaire de prof, je ne peux pas me le permettre ». Calculer chaque dépense mais se donner sans compter.
Expliquer, répéter, écouter, parler, lire, écrire, être fatigué .
La fête de fin d’année. Tant de fêtes de fins d’années, tous ces élèves croisés, tous ces collègues enseignants.
Le café qu’on partage à la va-vite pour se donner du courage avant d’aller les affronter.
Des remerciements parfois des années plus tard quand on croise un ancien élève au marché, « Vous avez été important pour moi, Monsieur vous savez » , quelques mots murmurés comme dans un souffle et l’homme s’éloigne un peu gêné avec sa femme et la poussette du petit. Les petits mots à la fin de l’année griffonnés sur un bout de papier qu’ils ont écrit à plusieurs, le cadeau collectif, un livre qu’on a déjà lu, souvent. Remercier, se dire que tout cela n’est pas vain. Que ça valait le coup de se fatiguer comme ça.
Juste envie de pleurer quand je regarde la photo de ce professeur.
Au revoir monsieur Dominique Bernard.