lundi, 27 mars 2023 14:46

Le Chambon-sur-Lignon : le fabuleux destin d'un enfant du pays raconté par sa fille Chantal Lebrat

Chantal Lebrat auteure directrice des éditions Renaissens|Jean Lebrat et ses parents en 1951 Crédit collection famille Lebrat|Crédit collection famille Lebrat|Jean Lebrat  Crédit collection famille Lebrat|Crédit collection famille Lebrat|| Chantal Lebrat auteure directrice des éditions Renaissens|Jean Lebrat et ses parents en 1951 Crédit collection famille Lebrat|Crédit collection famille Lebrat|Jean Lebrat Crédit collection famille Lebrat|Crédit collection famille Lebrat|| ||||||

"Un Rêve américain", le dernier ouvrage des éditions Renaissens, que l'autrice Chantal Lebrat va dédicacer samedi 1er avril en matinée à La Maison du Chambon est une piquante plongée dans l'histoire du Chambon-sur-Lignon de l'après-guerre, mise en lumière via l'extraordinaire expérience d'un enfant du pays, son père Jean.

Écrit sous la forme d'un scénario long métrage on y rencontre des personnages comme le pasteur Trocmé, Roger Darcissac, Samuel Lebrat, Edwin Shomer fondateur de l'Accueil fraternel... Le collège cévenol, florissant et plein d'espoir à cette époque-là, n'est pas sans accentuer les disparités sociales entre les jeunes car, seuls y sont admis, ceux dont les parents peuvent payer les frais de scolarité. Jean Lebrat n'en fait pas partie mais quelle n'est pas sa revanche sur les collégiens quand le pasteur Trocmé lui propose, en 1948, d'aller poursuivre ses études et travailler aux États-Unis ! Pourquoi lui alors qu'il ne parle pas un seul mot d'anglais ? Et pourquoi cette expérience tellement enrichissante n'a pas a été renouvelée ?

Pourquoi avoir choisi de publier Un Rêve américain sous le pseudonyme de Julie Armen alors que ce scénario relate la fabuleuse histoire de votre père, Jean Lebrat, natif du Chambon, à qui le pasteur André Trocmé, en 1948, a proposé d'aller étudier et travailler aux États-Unis ?

C'est sous ce nom qu'est sorti mon premier roman paru chez Ramsay en 2007. Il me permet de ne pas mélanger mon rôle d'éditrice et celui d'auteur ou des domaines très différents comme la fiction et les essais.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps (16e ouvrage) pour publier l'un de vos écrits chez Renaissens, alors que c'est votre propre maison d'édition ?

Parce que je n'ai pas créé les éditions Renaissens pour publier mes textes mais pour donner la possibilité à des personnes handicapées de devenir auteur. D'ailleurs, la publication d'Un Rêve américain relève d'un concours de circonstances. Comme le roman qui était prévu pour décembre n'était pas abouti, j'ai dû chercher rapidement un texte publiable pour combler le manque car nous nous sommes engagés, lors de notre adhésion au Syndicat national de l'édition, en 2021, à publier 4 titres par an.

Pourquoi avoir écrit ce scénario ?

Après ma mission CICR Jordanie-Irak (2007-2008) qui était particulièrement difficile, j'avais décidé de ne plus jamais repartir sur le terrain et de me lancer dans l'écriture de films. J'avais donc suivi une formation à Paris en écriture scénaristique. Nous avions deux projets longs métrages à présenter et j'avais trouvé que la fabuleuse aventure américaine de mon père se prêtait parfaitement à cet exercice.

Le pasteur Trocmé a choisi votre père pour cette aventure américaine alors qu'il ne parlait pas un seul mot d'anglais. Pourquoi selon vous ?

Je pense que c'était pour remercier l'action de mon grand-père Samuel. C'était lui qui avait créé le premier groupe de résistance sur le Plateau, juste après l'Appel du 18 juin 1940 (le seul d'ailleurs, avec son ami Eyraud, à avoir été décoré, au Chambon, de la médaille de la Résistance). Il avait caché de très nombreux résistants (notamment l'espionne américaine Virginia Hall) et autres personnes poursuivies en raison de leurs engagements politiques (combattants de la guerre d'Espagne) ou de leur appartenance religieuse. Il était dans la résistance armée et non civile mais souvent la frontière entre les deux était mince. C'était un véritable combattant ! Après ses 3 années de service militaire (1911-1914) il avait enchaîné 4 ans de guerre de tranchées à Verdun. Gazé et blessé au ventre il était resté jusqu'à la démobilisation. Il avait ensuite rejoint les soldats du feu au Chambon. Je ne l'ai pas connu mais aux dires de mon père c'était un homme qui s'engageait pour ses idées et surtout pour les autres. Ensuite, je pense que le pasteur était déçu que mon père ait interrompu ses études à l'ENP de Saint-Etienne. 

Votre père a-t-il participé à la rédaction de ce scénario ?

Il m'a apporté tous les éléments historiques et visuels qu'il me fallait pour l'écrire. Bien sûr, depuis l'enfance, je connaissais son histoire mais il me manquait des détails. J'ignorais par exemple que les Chambonnais, juste après la guerre, avaient souhaité que mon grand-père Samuel, qui présidait le comité de Libération, soit maire du Chambon.  J'ignorais aussi que mon grand-père n'avait pas voulu que son fils soit avantagé par rapport aux autres gamins du village et avait refusé qu'il bénéficie d'une  place gratuite au collège cévenol. Je savais que ça avait dur pour mes grands-parents, en 1948, de rassembler l'argent du voyage mais pas à ce point-là (et encore, l'autre partie du billet était payée par Charles Slessor, qui accueillait mon père dans sa ferme de l'Iowa). Il m'a apporté beaucoup pour les autres détails très visuels, indispensables pour un scénario, comme l'embarquement sur le Queen Mary par une échelle de corde car le paquebot ne pouvait accoster, en raison des mines marines encore présentes dans le port de Cherbourg. Plus je l'interrogeais plus il me livrait des images intéressantes, notamment celle de l'écriteau qui figurait sur le train qu'il avait pris à la gare Saint-Lazare : « Cunnard Line - Paris-Cherbourg-New York » ! Le train s'arrêtait carrément sur le port où des vedettes emmenaient les passagers jusqu'au paquebot ancré en haute mer. Et comme il m'était impossible de trouver sur internet des photos de l'intérieur du bateau, il m'avait décrit la salle à manger avec ses chaises vissées au sol en cas de tempête, la grosse horloge en bas de l'escalier qui changeait d'heure à chaque franchissement de fuseau horaire... tous ces éléments qui inscrivent un récit dans une réalité historique tellement enrichissante. 

Vous mettez met l'accent sur une lutte des classes parmi la jeunesse chambonnaise de l'après-guerre...

Après la guerre, le collège cévenol drainait toute une jeunesse citadine et protestante aisée, principalement originaire de Paris et de Lyon.  Pour les gamins du village, dont les parents ne pouvaient payer les frais de scolarité, le collège représentait une sorte de forteresse imprenable. Pour poursuivre leurs études, ils n'avaient pas le choix : il leur fallait quitter le village. Ces disparités sociales déplaisaient particulièrement à mon père, d'autant que le pasteur Trocmé, pour éviter les tensions et les complexes d'infériorité (et croyant bien faire), avait rassemblé tous les collégiens dans la même troupe d'éclaireurs. C'était les Duverney contre les Bastianou. Les uns se faisaient traiter de Parigots, les autres de cul-terreux ou de bouseux. Il faut dire que mon père passait ses étés à garder les vaches d'une cousine près du Lisieux, tandis que les collégiens, eux, jouaient au tennis ou sirotaient des diabolos menthe à la terrasse des nombreux cafés du village.

Qu'est-ce qui vous a le plus marquée quand votre père vous racontait son histoire ?

Surtout ce choc des civilisations. Arrivant à la High-School à 17 ans (le lycée de Reinbeck), mon père avait été bluffé de voir une salle de classe remplie de machines à écrire avec des touches sans lettres. En 1948, aux fins fonds de l'Iowa, tous les jeunes, dès 15 ans, filles et garçons, devaient savoir taper sans regarder leurs doigts. Le permis de conduire que mon père avait passé dans la cour de son lycée la semaine de sa rentrée des classes, la voiture qu'il avait achetée avec sa première paye alors qu'il n'avait pas 18 ans et qu'au Chambon seuls le médecin et le pharmacien en possédaient une ! Il travaillait tous les matins à la ferme avant de partir pour l'école. Ce qui l'avait le plus subjugué avait été de voir des petits de 14 ans, dont la tête dépassait à peine le volant, arriver seuls à l'école dans la grosse Buick de leurs parents car le Yellow School Bus ne passait pas près de chez eux !

Le modernisme des États-Unis fascinait la population et, en particulier, les jeunes du village...

Le linge, par exemple. Les Chambonnaises lavaient toujours le linge au lavoir où à la rivière tandis que les Américaines appuyaient sur le bouton de leur machine à laver. Les Chambonnaises battaient leurs blancs en neige pendant une heure, tandis que les Américaines appuyaient sur le bouton de leur mixer. Ce choc des civilisations était total pour mon père. L'une de ses lettres commençait d'ailleurs par « Ici, on change de chemise tous les jours ». Sa mémé y trouvait évidemment à redire : « Ils vont me l'user mon Jeannot avec tous leurs lavages », ponctuait-elle à la lecture des lettres qu'il envoyait régulièrement à sa famille.

Votre père avait fait l'expérience de l'enseignement de l'ENP de Saint-Etienne dont la rigidité l'avait poussé à arrêter l'école à 16 ans. Quelles méthodes d'enseignement découvrait-il aux États-Unis ?

Une mentalité complètement différente. En, 1948, dans son lycée américain, personne ne se mettait en rang. Contrairement à l'ENP de Saint-Etienne, les jeunes s'asseyaient là où ils voulaient pouvant déplacer leur chaise-tablette dans la salle. Tous étaient respectueux des professeurs qu'ils appelaient souvent par leur prénom. Ces derniers restaient après les cours quand mon père ne comprenait pas. On ne punissait jamais mais on encourageait sans cesse... Pas de bonnet d'âne ou des « au coin et restez-y jusqu'à la fin du cours et vous m'écrirez 50 fois Je ne dois pas parler ». L'enseignement était fondé sur la responsabilisation du jeune et non sur la sanction... C'est la raison pour laquelle mon père est resté sept ans et pas seulement deux ans comme le prévoyait le projet du pasteur Trocmé. D'ailleurs, jusqu'à la fin de sa vie, il n'a jamais cessé d'encenser les méthodes américaines de travail, de recherche et d'enseignement.

La religion occupait une place importante chez les jeunes protestants du Chambon...

Mon père allait à l'école du dimanche et son pasteur était André Trocmé. Il avait fait sa confirmation à 16 ans, comme les autres jeunes protestants du village et faisait partie de la troupe d'éclaireurs Bastianou. La troupe Duverney était celle des collégiens. Il y en avait une troisième que je ne mentionne pas dans mon scénario afin de bien laisser la rivalité entre la troupe de mon père et celle des « parigots-gosses de riches ». Quand il est arrivé dans l'Iowa, la « church » (église protestante presbytérienne) avait une importance considérable parmi les jeunes. Le sous-sol était aménagé en club. On y buvait du lait et des jus de fruits (l'Iowa était un « dry State », un État où l'alcool était interdit), on y apprenait à danser le boogy-Woogy, on y  flirtait, on y empruntait des livres... À l'extérieur, le seul café où la jeunesse se rassemblait était un milkbar qui servait surtout des milk-shakes et des gâteaux à la carotte.

UNE RENCONTRE CE SAMEDI AU CHAMBON-SUR-LIGNON

Rencontre-dédicace autour d'un café de 9 heures à 12 heures samedi 1er avril à La Maison du Chambon au Chambon-sur-Lignon

"Un Rêve américain" de Julie Armen éditions Renaissens Prix 20 euros

Dernière modification le lundi, 27 mars 2023 18:55

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