Samedi, pour la deuxième fois, l'association Lire et écouter la Grenette proposait une dictée collective.
Dans les salles de la mairie, deux salles étaient mises à disposition pour permettre aux candidats de participer à cet exercice, honni par certains, plébiscité par d'autres sur les bancs de l'école.
Il n'y avait pas une mais deux dictées lues en même temps. Deux salles, deux ambiances, deux niveaux. Un texte extrait de "Chagrin d'école" de Daniel Pennac était d'un niveau plus facile. Pour les autres, ils se sont confrontés, crayon à la main, à un texte lu par son auteur, Pierre Jouve, ancien instituteur. Un texte relevé aux multiples pièges.
Voici les deux textes pour vous donner une idée du niveau et des pièges. Et peut-être vous permettre de vous lancer dans une dictée en famille.
"Chagrin d'école" de Daniel Pennac
Donc, j’étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe, c’est que j’en étais l’avant-dernier. (Champagne !)
Fermé à l’arithmétique d’abord, aux mathématiques ensuite, profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux géographiques, inapte à l’apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux (leçons non apprises, travail non fait), je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le sport, ni d’ailleurs aucune activité parascolaire.
- Tu comprends ? Est-ce que seulement tu comprends ce que je t'explique ?
Je ne comprenais pas. Cette inaptitude à comprendre remontait si loin dans mon enfance que la famille avait imaginé une légende pour en dater les origines : mon apprentissage de l'alphabet. J'ai toujours entendu dire qu'il m'avait fallu une année entière pour retenir la lettre a. La lettre a, en un an. Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l'infranchissable a.
- Pas de panique, dans vingt-six ans, il possédera parfaitement son alphabet.
Ainsi ironisait mon père pour distraire ses propres craintes. Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d'un baccalauréat qui m'échappait obstinément, il aura cette formule :
- Ne t'inquiète pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes...
Ou en septembre 1968, ma licence de lettres en poche :
- Il t'aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l'agrégation ?
"Le Pays des Sucs" de Pierre Jouve
La dernière fois, mes arguties et ratiocinations vous avaient fait suer le burnous avec Yssingeaux. Cette année, certains m'ont susurré : "Et si vous vous éloigniez de la ville ?" Ma bonhomie a acquiescé car j'abhorre contrarier pour des peccadilles : c'est de bon augure pour vous.
Je propose donc que nous photographions des paysages de chez nous pour que chacun voie leur beauté car notre région a bien une vocation touristique indéniable. Evidemment, sa cote n'atteint pas celle des stations huppées où des kyrielles de businessmen, de stars du showbiz, de jet-setteurs de tout acabit ne recherchent que l'esbroufe dans les night-clubs pour flambeurs.
Chez nous, pas de chiqué : on apprécie le relief fait de cônes, de dômes, de tumuli dont le pittoresque émerge, ça et là, en une mosaïque de pâturages vert tendre, de forêts plus sombres, de champs paille avant les moissons ou marron après les labours. Ces éminences que notre langue a baptisées "sucs" sont des volcans éteints, apparus il y a quelques deux millions d'années. Leur fourrure de résineux, parfois écorchée d'éboulis ou falaises grisâtres, ondule tous azimuts et sculpte comme une houle d'océan déchaîné.
Et que de loisirs dans cette nature idyllique ! Le sucs belvédères permettent des ascensions aisées aux lève-tôt amateurs de levers de soleil tandis que les randonneurs moins aguerris préfèrent les balades plus bucoliques sur la voie verte. A la saison, les champignons de nos sous-bois, cèpes, girolles, trompettes des morts, attirent les gourmets qui savent bien que ces cryptogames s'accomodent avec les vol-au-vent...
... Comme la gastronomie s'accorde avec le tourisme.