Antoine-Romain Rozwadowski est à Doha pour les World Masters Swimming Championships. Il raconte en grand format...
Depuis les deux derniers weekends de compétitions à Yssingeaux puis les championnats de ligue à Meyzieu, mes coachs m'en mettent plein le museau dans cette dernière ligne droite avant mes premiers championnats du monde de natation. Du lactique, de la VO2, de l'aerobie, de la muscu... J'en ai un peu plein le dos, mais je sais que je vais bientôt pouvoir, devoir, lever le pied pour débuter la période d'affûtage, où le corps est censé surcompenser après de lourdes charges à l'entraînement.
Je pose le sac quelques jours en Espagne, à Lloret de mar, histoire de peaufiner la préparation et de profiter du bassin de 50m. Travail d'allures, repères de grand bain.
Mal aux bras, sensation d'être collé... Les premiers entraînements ne sont guère rassurants... Mais de toute manière, pas la peine de se mettre la rate au court-bouillon, il n' y a maintenant plus grand chose à faire, à part se reposer. Et surcompenser. Allez mon corps, surcompense ! C'est maintenant !
Départ de Barcelone pour Doha au Qatar.
L'hôtel que j'avais réservé m'indique qu'ils annulent ma réservation, au prétexte qu'ils n'arrivent pas à débiter ma CB... Cool !
Le vol est censé arriver à 16h40, et je dois impérativement aller chercher mon accréditation à l'autre bout de la ville avant 19h, sous peine d'avoir à le faire le lendemain matin juste avant ma première épreuve : 3 km en eau libre.
Entre le petit retard de l'avion, le passage de la douane, où nous sommes scannés de pied en cape, et empreintes-digitalisés, je sors tout mouillé de chaud vers 18h. Ça va être tendu.
Bizarrement, l'hôtel qui a annulé ma réservation et mettait gracieusement un taxi à disposition, n'a pas annulé la course. Je suis attendu avec un petit écriteau à mon nom, c'est drôle.
Le chauffeur doit donc m'emmener à l'hôtel, ce qui ne m'arrange absolument pas, je dois aller bien plus loin pour ladite accréditation...
Voyant bien que son physique correspond davantage aux personnes originaires du sous-continent indien qu'aux communautés arabo-persiques, je tente :
- vous êtes du Sri Lanka ?
- non, d'Inde.
- Ah, l'Inde ! J'ai traversé une bonne partie de votre pays à vélo, blablabla, blablabla. Et sinon, ça vous dirait de me poser vers l'Aspire Dome ?
- No problem, no problem.
- Super ! Et de m'attendre le temps de récupérer mes papiers pour ensuite m'amener à l'hôtel ?
- No problem, no problem.
- Par contre... J' ai pas un sou, pas eu le temps de retirer...
- No problem, no problem.
Arrivé à l'hôtel, je prends mon air renfrogné de Français pas content.
- Quand même, ça se fait pas, annuler ma réservation blabla.
- Non mais c'est bon, on a une chambre pour vous.
- Ah ? Mais quand même, je suis pas content, appelez un responsable, je pense que je pourrais avoir une chambre Deluxe pour compenser.
- Oui, d'accord, on vous accorde l'upgrade.
Ah bon.
Dîner, préparation des affaires d'eau libre et dodo.
Un petit coup d'Uber pour se rendre sur place.
- Blablabla, vous êtes indien ?
- non, Sri Lankais.
- ah ben j ai traversé votre pays, blablabla, petit moment sympathique avant de passer les portiques de sécurité.
Ça rigole pas des masses. Passages des sacs aux rayons X, contrôle des accréditations, des combinaisons (textiles) de natation, des ongles des mains et des pieds... histoire de ne pas balafrer un collègue au détour d'une bouée.
La course se déroule dans le vieux port de Doha, dans la mer, donc. L'eau est à peine à 20 degrés, ce qui ne manque pas de me surprendre : je pensais réellement trouver une température plus clémente dans les eaux du Golfe Persique.
Ah oui, en début de semaine, l'université de je-ne-sais-plus-où m'a contacté pour mesurer la température de mes boyaux pendant ma course. "Si, si, c'est super", qu'ils disent, "vous avez juste à avaler un tout petit thermomètre, genre qui rentre dans une gélule." Nan mais ça va bien oui !? Je vais rien avaler du tout. D'abord, je n'y arriverais pas... Je vais le mâcher votre machin... Et puis j'ai pas envie de savoir ni combien il y fait, là-bas dedans et encore moins comment vous communiqueriez avec mes boyaux... en bluetooth ou en wifi...
Quelques mots, sur cette première course, le 3 km.
Alignés en rang d'oignons, nous sommes 67 à attendre les ordres du starter sur le ponton. L'eau est toute verte, je vois quelques petits poissons qui gigotent. "Sautez dans l'eau, et accrochez une main à la corde". Pas le temps de faire une vanne comme aux Europe à Madère il y a 3 mois où j'avais crié "méduses !" en entrant dans l'eau. Le coup de corne de brume retentit.
Je fais le départ. Pour ne pas rater le train comme à Funchal. Je lâche les gars à mes côtés et vais récupérer la tête de course avant la première bouée. Je me rends compte que je suis parti un peu fort quand même, et cherche des pieds pour souffler un peu.
L'Italien, multiple recordman du monde et champion du monde, ex-athlète olympique, se fait la malle avec un autre. C'était prévu... Dans la ligne droite opposée, de 650m, je trouve mon rythme dans un groupe de chasse. Ça revient de derrière. On doit être une dizaine.
C est un peu la guerre à chaque bouée de virage.
On passe sous l'arche, puis deuxième tour. Je sens que je suis bien. J'hésite à accélérer. Je sais pas exactement où je suis dans le classement, mais je sais que y en a beaucoup derrière.
Je remonte le gars à ma droite. Je respire, à droite et sa vague me rentre par les trous de nez. Avec l'effort, la respiration courte, ça me provoque un haut-le-cœur terrible. Puis un deuxième. Le sel me défonce les parois nasales, et, en ressortant, ramène avec lui un mucus insoupçonné et venu de nulle part. Un nouvel haut-le-cœur, puis voilà, un petit vomito. Quelques bruits de lavabo, puis il faut se remettre dans le rythme...
Cela va sans dire qu'on ne m'attend pas en route. Je n'ai pas perdu grand-chose. Quelques mètres à peine, vite comblés.
Bouée de virage, bataille, puis bouée de virage, bataille.
2eme ligne droite opposée, je me place. J'hésite. Est-ce que je dois tenter de partir ? Attendre le sprint ?
Avant dernière bouée, par je-ne-sais-quel truchement, je me fais distancer, alors j'accélère pour être placé à la dernière bouée. Je suis un peu loin, mais je sprint à bloc. J'en double un paquet. J'en suis presque surpris. Mode booster activé. Les jambes, la mousse, je passe sur la gauche de l'entonnoir.
Au final je touche 6eme, à 1 ou 2" du 4eme, je crois et à une vingtaine du 3eme. Il a dû partir dans la dernière ligne droite, au moment où j' ai tergiversé.
Était ce possible d'atteindre le podium ? Je sais pas, peut-être, oui... Est ce que j' étais bien ? Oui ! Est ce que je me suis amusé ? Beaucoup !
Qu'est-ce que j ai envie de faire maintenant ?De retourner à l'entraînement, tout de suite ! Pour m'approcher encore un peu des tous meilleurs nageurs de la planète !
Cette après-midi, je compte aller à la piscine, repérer les lieux et faire un peu de récup. Demain, journée de repos, puis lundi... Première course en bassin, le 800 mètres nage libre ? Les objectifs ? Rentrer en finale (c'est à dire dans les 10 plus rapides), et pourquoi pas battre le record régional Auvergne Rhône Alpes !