Une nouvelle journée de la forêt était proposée à Saint-Julien Molhesabate vendredi. La forêt bouge et ses acteurs échangent.
Gilles Cibert, le maire de Saint-Julien-Molhesabate et initiateur de ces journées de la forêt revient sur les raisons d’organiser cet événement : il constate que sur sa commune, couverte à plus de 70% par la forêt, les enjeux sont importants pour l’avenir : c’est l’emploi de toute une filière (bois d’œuvre, bois énergie), c’est la fonction bioclimatique de la forêt (filtration eau, captage carbone, fraîcheur), c’est la fonction paysagère appréciée par les habitants comme par les visiteurs. Et pourtant en parcourant les chemins on peut constater que des parcelles pourtant voisines n’ont pas le même aspect, la même dynamique : certaines paraissent abandonnées, d’autres surexploitées, voire coupées à blanc. Le thème choisi pour cette année était « la Gestion Durable de la forêt. Quelles alternatives aux coupes rases ? ». Plusieurs intervenants se sont succédé autour de ces questions. Une cinquantaine de personnes ont assisté aux exposés et aux visites terrains.
L’adaptation des forêts au changement climatique : « le gros sujet »
Anthony Rispal, ingénieur de l’Office National des Forêts a expliqué à l’auditoire les actions qu’ils mettent en œuvre pour adapter la forêt publique au changement climatique, qualifiant cette préoccupation de « gros sujet ». Les projections à 2070 font apparaître sur la Haute-Loire, que le sapin pectiné ne trouvera les conditions climatiques de son développement qu’au-dessus de 1000 mètres d’altitude c’est-à-dire que cette essence a encore largement sa place sur la commune de Saint-Julien-Molhesabate.
L’ONF à la pointe de la gestion forestière durable
Au sein de l’ONF, chaque technicien sur le terrain gère entre 1200 et 1800 hectares de forêts publiques, domaniales ou communales, très répartis sur l’ensemble du département. Ils savent que chaque forêt est particulière en fonction de sa station, c’est-à-dire, son altitude, son exposition, la nature et la profondeur du sol, … Il explique que les arbres qui peuplent nos forêts étaient parfaitement adaptés aux conditions climatiques d’il y a 100/150 ans. Cela signifie que les graines produites par les arbres d’aujourd’hui sont adaptées au climat d’aujourd’hui. Par conséquent si la station est bonne, l’évolution naturelle peut suffire. Le travail du sylviculteur consistera uniquement à permettre aux jeunes plans de régénération naturelle de trouver assez de lumière pour se développer et prendre la suite.
La coupe rase solution extrême à n’utiliser qu’en cas d’urgence
Quand la station n’est pas propice à l’essence dominante, station plein sud pour les sapins par exemple, mais qu’aucun dépérissement généralisé n’est visible, l’ONF facilite l’implantation d’essences plus adaptées, en pratiquant de « fortes » éclaircies. L’idée est la création de trouées où seront plantés les nouveaux arbres tout en faisant bénéficier les nouvelles plantations de la protection du couvert forestier. L’ONF n’a recours à la coupe rase qu’en cas d’urgence : pour régler un problème sanitaire avéré : abattage immédiat pour stopper le risque de prolifération.
Les forêts des prochaines années seront mélangées
Anthony Rispal indique qu’ils mélangent les essences pour obtenir une forêt plus résiliente, c’est-à-dire un écosystème varié ou parasites et prédateurs maintiennent un équilibre. C’est aussi le moyen de limiter les risques pour le propriétaire forestier de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Concernant les nouvelles essences, il s’agit de procéder à une « migration assistée », c’est-à-dire celles qui seraient arrivées naturellement depuis les rives de la méditerranée comme le sapin bornmuller originaire de Turquie qui résiste tout autant au gel qu’aux fortes chaleurs et épisodes de sécheresse.
Fransylva43, le syndicat qui bichonne ses adhérents
La forêt est un monde à part, complexe et opaque. C’est ce qu’ont pus témoigner les propriétaires présents dans la salle : il existe pourtant toutes sortes de dispositifs, de règles, d’acteurs, de financements. Philippe Beignier, l’hyperactif président de Fransylva43, syndicat des propriétaires forestiers privés de Haute-Loire, lui connaît tout sur le bout des doigts. Avec fougue non dénuée d’humour, il donne des exemples précis : Les arbres ça peut tomber, surtout pendant les grands coups de vent et parfois ça ne tombe pas au bon endroit : sur une voiture, sur une antenne de téléphonie mobile, sur un câble de fibre optique et le propriétaire de l’arbre est responsable. Chaque propriétaire forestier est censé prendre une assurance Responsabilité Civile pour ne pas avoir à payer lui-même les conséquences des dégâts provoqués par ses arbres.
Les petits propriétaires à la recherche de solution
Philippe Beignier explique les règles pour vendre au mieux ses coupes de bois : dans une parcelle tous les arbres ne se valent pas, ils n’ont pas tous la même qualité et les scieries sont de plus en plus spécialisées. L’idéal est de faire des lots de bois par type de marché : Charpente, Coffrage, Palette, pâte à papier, … A condition aussi que l’on puisse remplir au minimum un grumier de chaque lot. Déplacer des machines, des camions ce sont des coûts fixes et pour les amortir il faut des volumes. Ce que les propriétaires de petites parcelles sont incapables d’offrir. Le drame de la propriété forestière française c’est son morcellement. La Haute-Loire ne fait pas exception avec des propriétés moyennes de 2.3 ha en 6 parcelles différentes rarement limitrophes les unes des autres.
La solution c’est le regroupement
Sans volumes conséquents de bois bien triés par qualité, les propriétaires sont à la merci des marchants de bois qui n’auront d’autre choix que de leur proposer une coupe rase. Pourtant reprends Philippe Beignier, il existe toutes sortes de moyen de se regrouper avec des voisins, qui sont dans la même situation. Les coopératives, experts forestiers sont tout disposés à contacter les propriétaires voisins. Mais il existe d’autres formes de regroupements plus encadrés comme par exemple les Groupements forestiers particulièrement adaptés aux membres d’une même famille, ou encore l’Association Syndicale Libre de Gestion Forestière (ASLGF) dont plusieurs ont vu le jour en Ardèche, dans la Loire ou encore à St Front et qui peuvent constituer des ensembles de plusieurs centaines d’hectares.
Le plan simple de gestion ouvre l’accès aux subventions
André Defaye, maire adjoint de Saint-Front était venu témoigner de la création sur sa commune d’une ASLGF : c’est en 2019, que date la prise de conscience du problème qu’avaient les petits propriétaires forestiers : le sentiment d’isolement, la méconnaissance technique, les trop nombreuses coupes rases, les prix de vente faibles, l’ignorance des aides financières. Aujourd’hui 45 propriétaires participent à l’ASLG ce qui représente une superficie de 120 hectares. Un Plan Simple de Gestion (PSG) a pu être élaboré. Ce document dresse un état des lieux de cet ensemble forestier, fixe des objectifs de valorisation et décline sur 20 ans les interventions de sylviculture durable. Chaque propriétaire reste libre de procéder lui-même aux coupes sur ses parcelles ou de profiter des coupes groupées organisées. Ils peuvent bénéficier de toutes les subventions qu’ouvrent les propriétés gérées durablement sous PSG : marquage, plantation, …
Rien ne vaut une visite sur le terrain
Les équipes du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), sont intervenues l’après-midi pour illustrer concrètement ce qu’est une forêt gérée durablement. Le CNPF est l’équivalent de l’ONF mais pour les forêts privées. Philippe Couvin, ingénieur, JB Mey et Mathieu Jeanville, techniciens ont présenté les caractéristiques de plusieurs parcelles de sapins très différentes : la première très bien gérée, depuis au moins 20 ans en jardinage : on n’y voit pas à travers, il y a des arbres de toutes les tailles, les coupes se font tous les 6 à 7 ans, on élimine les grands arbres avec défauts au profit des sujets d’avenir bien droit peu branchus. Au contraire un marchand de bois peu scrupuleux aura eu l’approche inverse de faire couper les bois les plus beaux et ne laissant au propriétaire inconscient que les moches.
En sylviculture on a vite fait de se tromper
Une deuxième parcelle est soumise aux participants : les arbres sont serrés, très branchus, il y a peu de lumière, le sol est dépourvu de végétation régénérative. Nicolas Monneret, expert Forestier venu rejoindre le groupe, explique que ça peut se rattraper mais sur plusieurs décennies. Il faut d’abord éclaircir et faire entrer la lumière en faisant des travées dans les arbres sans avenir tout en préservant les jolies perches. Les éclaircies vont permettre la germination de nouvelles générations de sapins. Il sera possible de faire des placettes de 1000 m² pour planter des nouvelles essences mélangées (épineux, feuillus). Deux autres parcelles ont été visitées, laissant voir des diversités saisissantes entre des forêts bien gérées par des propriétaires avertis et d’autres plus ou moins gérées ou laissées à l’abandon.
Plusieurs fois au cours de la journée les intervenants ont pu marteler que la sylviculture c’était un métier et que comme pour ses dents ou son système de chauffage il vaut mieux faire appel à un spécialiste, un dentiste, un plombier, un technicien forestier. Les participants ont apprécié la qualité des interventions et sont repartis plein de bonnes idées pour gérer durablement leur forêt.