Ce mardi 29 novembre, le CALC (Comité d'Animation, de Loisirs et de Culture) de Saint-Pierre Eynac proposait une soirée thématique : « théâtre et citoyenneté ».
Pour cette occasion, près de 80 spectateurs avaient délaissé leur téléviseur pour assister à l'adaptation proposée par Arnaud Beunaiche (directeur artistique, auteur, metteur en scène et comédien de la compagnie L'Emporte-voix) de la nouvelle "Matin Brun", un apologue édité en Haute-Loire par l'Edition Cheyne en plus de deux millions d'exemplaires depuis sa sortie en 1998.
Un spectacle tout public, une mise en scène inquiétante, un appel à résister
Dans la salle, le public a assisté à la perte de liberté acceptée peu à peu par Charlie et le protagoniste joué par le comédien, un « héros » qui accepte (1) l'extermination d'une partie de la population, des chats et des chiens certes mais tout de même ; il a assisté (2) à la hiérarchisation des races – bruns et non bruns – ; (3) à la destruction par le feu de livres jugés dangereux ; (4) au contrôle des médias et à la disparition de la liberté de la presse, au contrôle de la pensée par le contrôle du langage, à la mise en place de lois liberticides... Avant que ne se ferme le rideau, le personnage exprime des regrets : « J'aurais dû me méfier des bruns », « on aurait dû dire non », « résister davantage, mais comment ? ça va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ? » et c'est sur un poème attribué au pasteur Niemöller que s'achevait la représentation : « Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ».
Une interprétation incarnée et fidèle au texte
Une interprétation juste, incarnée et fidèle au texte était nécessaire pour faire entendre toute la portée, tout le sens politique et symbolique de cette dystopie universelle qu'est Matin brun. C'est sans doute pour cela que le metteur en scène et comédien Arnaud Beunaiche a fait le choix de la simplicité du jeu de son protagoniste, un homme à qui chacune, un homme à qui chacun peut s'identifier. Il a ainsi choisi une mise en scène à la fois moderne et intemporelle, épurée et rythmée, qui, avant même l'entrée en scène du personnage, plonge ses spectateurs dans un univers inquiétant, miroir du nôtre...
Un échange autour des thèmes et de la contemporanéité du texte
Et à l'issue de la représentation, le comédien provoquait la discussion partant du postulat que, selon lui, « chaque scène voit s'enfoncer peu à peu le « héros » dans un déni de la réalité. Pourtant, on ne parvient pas complètement à le détester. Peut-être parce qu'il nous ressemble un peu. Malheureusement. ». Ainsi, il entendait échanger avec ses spectateurs sur le totalitarisme, s'appuyant sur ses choix de mise en scène mais aussi sur son expérience personnelle et sur les réactions du public. On ne pouvait échapper (1) aux génocides au Tigré et aux Ouïghourds sur lesquels les médias et la communauté internationale restent honteusement silencieux ; (2) on ne pouvait échapper à la référence à la couleur brune, symbole même de la violence des Sections d'Assaut allemandes, couleur brune qui envahit peu à peu l'espace scénique alors que rien n'oblige le protagoniste de la pièce à agir de la sorte ; cependant, en agissant ainsi, il se sent en conformité, en sécurité ; on ne pouvait échapper non plus (3) aux références aux autodafés nazis dans les années 1930 ou turcs en 2019 ; (4) on ne pouvait échapper aux références à notre époque, à la référence aux « petites lâchetés de chacun d'entre nous », au conformisme qui s'installe insidieusement dans nos sociétés : tous en jean, tous devant les mêmes films que nous imposent les salles de cinéma quand on croit les avoir choisis ; en effet, quel est le dernier film produit en Inde ou au Nigéria que vous avez vu ? Aucun ? Pourtant, devant les Etats-Unis, Inde et Nigéria sont les deux pays qui produisent le plus de films au monde ! Ipso facto, dans une société où les réseaux sociaux et les algorithmes occupent une place de plus en plus inquiétante, sommes-nous vraiment libres de ce que nous décidons de faire ? Toujours certains que nous aurions agi autrement que le protagoniste, que nous nous serions révolté, que nous aurions résisté ? En écho résonnaient les propos de Stéphane Hessel : « Résister, c'est considérer qu'il y a des choses scandaleuses autour de nous et qui doivent être combattues avec vigueur. C'est refuser de se laisser aller à une situation qu'on pourrait accepter comme malheureusement définitive » (Stéphane Hessel, Engagez-vous !).
Un autre temps fort du CALC
La soirée se terminait autour d'une séance de dédicace de l'artiste et d'un vin chaud offert par le CALC. Prochain rendez-vous ce samedi 3 décembre avec la représentation d'une pièce d'un tout autre registre, « Mais qu'il faut en voir », une farce écrite tout d'abord en patois par notre plume locale, Ginette Dunis, et retranscrite en français pour qu'elle soit accessible à tous : dans un village altiligérien, arrivent les premières automobiles et les difficultés qui en découlent ; comment, par exemple, obtenir son permis de conduire quand on sait à peine lire ? Des rires en perspective pour une représentation unique de la troupe de Marnhac au bénéfice du Téléthon.
Le CALC de Saint-Pierre Eynac donne donc rendez-vous à la Maison des loisirs de Saint-Pierre Eynac ce samedi 3 décembre à 15 heures.