samedi, 18 mars 2017 09:32

Un pan d'histoire sociale et de l'émotion à foison avec l'Université pour tous

Raymonde Prat et Martine Fauconnier-Chabalier.||| Raymonde Prat et Martine Fauconnier-Chabalier.||| Photo La Commère 43|||

Raymonde Prat et Martine Fauconnier-Chabalier étaient les invitées de l'Université pour tous jeudi soir à Yssingeaux. Elles ont éclairé l'assistance sur les enfants abandonnés aux XIXe et XXe siècles et les pupilles de l'Etat.

C'est un sujet infiniment douloureux qui était abordé sous l'angle historique jeudi soir grâce à une conférence insérée dans la programmation du collège d'Yssingeaux de l'Université pour tous.

Le "tour d'abandon" plutôt que l'infanticide

Une première séquence était consacrée aux enfants trouvés et abandonnés de l'hospice d'Yssingeaux de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Raymonde Prat, dans son exposé documenté et factuel, faisait apparaître des fantômes touchants d'un autre temps. Une cohorte de nourrisons langés dans des guenilles, leurs mères poussées par la misère, plombées par le poids de la religion, venues déposer, à la nuit tombée, leur bébé dans ce "tour d'abandon" de l'hospice d'Yssingeaux.

Ce dispositif, rendu obligatoire en 1811, interdit en 1904, garantissait l'anonymat de la dépose d'enfant. Ces tours d'abandon consistaient en un cylindre ouvrant sur l'extérieur d'un bâtiment, comme un tambour de porte. Les mères mettaient l'enfant dans le cylindre et tournaient celui-ci pour que l'enfant accède à l'abri à l'intérieur de l'édifice. "Les mères célibataires se sentaient contraintes d'abandonner leur enfant car, sinon, elles étaient mises à l'écart de la communauté villageoise. Avec l'arrivée des tours, on préférera l'abandon à l'infanticide." Glaçant.

Des rubans personnalisés

Les malheureuses glissaient des marques personnalisées, signes religieux ou rubans colorés car la plupart était ouvrière en passementerie. "C'est un moment très émouvant lorsque l'on ouvre ces boîtes où ont été conservés, pour chaque enfant, ces rubans qui ont gardé leurs couleurs, comme celui, rouge, joliment plié en forme de colombe."

Elles joignaient parfois des messages disant leur espoir d'être en capacité de revenir chercher leur enfant : "on vous prie d'en avoir bien soin parce qu'on veut la retirer"; "ayez en bien soin peut-être il sera reconnu"; "conservez la marque"; "prendre soin de seste petite juque puisse la retirer"...

Des noms champêtres

Parfois encore, elles formulaient des intentions pour donner un prénom au nouveau-né. In fine, les religieuses chargées de s'occuper de les baptiser faisaient ce que bon leur semblait. Certains noms et prénoms donnés semblent faire référence à la flore très présente alors dans la pharmacopée. Qu'on en juge : Marguerite Cypré, Reine Persil, Marie-Julie Jujube, Jacques Santoline, Jean-Michel Fayard, Jean Sapin, Jacques Philip Ysope...

Des histoires singulières qui parlent de notre histoire

En deuxième partie, Martine Fauconnier-Chabalier évoquait le destin des pupilles de l'Etat, lorsqu'une loi du 27 juin 1904 fait du préfet leur tuteur et permet l'accouchement sous X. "Ces pupilles de l'Etat disent beaucoup de notre histoire à tous et ce sont aussi des histoires singulières."

Pour donner un repère, en Haute-Loire, ces pupilles était 237 en 1902, ils étaient 4 en 2014. On a alors des statistiques sur la situation de la mère lors de l'abandon. 66% étaient domestiques. Ces nouveaux-nés sont très vite confiés à des nourrices à la campagne qui disposent de vaches pour fournir le lait, idéalement pas trop éloignées d'une école. Pour le meilleur et de belles histoires familiales se nouent alors. Ou pour le pire, avec leurs lots de mauvais traitements et des rencontres franchement sordides.

Un destin tout tracé

On constate une forte mortalité infantile : 27% meurent avant d'atteindre leur premier anniversaire. Leur destin est tout tracé sauf exception, et même si ces pupilles sont doués au plan scolaire, ils seront bien souvent cultivateurs ou domestiques.

On quitte la salle en mesurant le chemin parcouru, en se félicitant des progrès réalisés en matière de contraception et plus globalement de l'existence de la Sécurité Sociale. Et en espérant que ces acquis précieux ne soient jamais remis en cause.


Prochain rendez-vous

Le jeudi 13 avril à 18 h 15, au cinéma d'Yssingeaux, un sujet sur la génétique proposé par Pierre-Luc Rigaud, biologiste.

Entrée 4 euros, gratuit pour les scolaires et les étudiants

Dernière modification le samedi, 18 mars 2017 19:17

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